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Rupture de relations commerciales établies : vérifier la nature commerciale de la relation

Avant d’engager une action en responsabilité pour rupture d’une relation commerciale, il faut vérifier que cette relation soit bien de nature commerciale, que cette relation commerciale soit établie et que la rupture soit brutale. 

L’article L 442-1, II du code de commerce sanctionne le fait, pour toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services, « de rompre brutalement même partiellement une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce et aux accords interprofessionnels ». 

Ces dispositions sur la rupture brutale d’une relation commerciale établie tout comme celles prévues par l’ancien article L 442-6, I 5° du code de commerce peuvent être mises en œuvre quel que soit le statut de la victime. 

La jurisprudence a tendance à interpréter largement la notion de « relation commerciale » mais toute relation d’affaires n’est pas de nature commerciale. 

Un arrêt de la Cour de cassation a ainsi récemment rappelé que la nature de la relation devait être commerciale pour que le dispositif puisse s’appliquer [1]. 

Dans cette affaire, différentes sociétés faisant partie d’un même groupe étaient opposées à un cabinet de propriété intellectuelle qui assurait la gestion des droits de propriété intellectuelle de ces sociétés. 

Après plusieurs années de relations avec ce cabinet et suite à la réorganisation générale de la gestion des droits de propriété intellectuelle des différentes sociétés, il avait été décidé de transférer la gestion des droits de propriété intellectuelle à un autre prestataire. 

Le cabinet de propriété intellectuelle avait alors considéré qu’il y avait rupture brutale des relations commerciales établies et avait donc assigné en responsabilité les sociétés clientes devant le Tribunal de commerce de Paris ; aux termes d’un jugement en date du 16 avril 2018 le tribunal de commerce de Paris avait débouté le cabinet de propriété intellectuelle de ses demandes en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations l’ayant liée aux différentes sociétés après avoir dit que les conditions d’application de l’article L 442-6, I 5° du code de commerce (applicable à l’époque des faits) n’étaient pas réunies. 

Suite à l’appel interjeté par le cabinet de propriété industrielle, la cour d’appel de Paris dans son arrêt en date du 4 mars 2020 avait confirmé le premier jugement en rappelant qu’aux termes de l’article L 422-12 du code de propriété intellectuelle, la profession de conseil en propriété industrielle était incompatible avec toute activité de caractère commercial. 

Elle en avait déduit que l’activité de conseil en propriété industrielle n’étant pas une activité commerciale, le cabinet de propriété intellectuelle n’entretenait pas de relation commerciale avec aucune des sociétés. 

La Cour de cassation avait ensuite rejeté le pourvoi intenté par le cabinet de propriété industrielle en décidant que la profession de conseil en propriété industrielle était incompatible avec toute activité de caractère commercial et qu’en conséquence, les dispositions de l’article L 442-6, 1, 5° du code de commerce dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 n’étaient pas applicables aux relations ayant existé entre la société ayant assuré la gestion des droits de propriété intellectuelle et les sociétés commerciales détentrices de ces droits. 

Il s’agit d’une solution conforme à la jurisprudence antérieure puisque la Cour de cassation avait déjà retenu dans une affaire similaire que la profession de conseil en propriété industrielle était incompatible avec toute activité de caractère commercial et que même si cette profession pouvait être exercée sous forme de société commerciale, cette faculté ne permettait pas de déroger à cette incompatibilité et qu’en conséquence, il n’existait pas de relation commerciale entre les parties [2]. 

Il faut donc avoir présent à l’esprit que les dispositions relatives à la rupture brutale des relations commerciales établies ne s’appliquent pas à toute relation d’affaires si celle-ci n’est pas de nature commerciale. 

La jurisprudence écarte la possibilité d’obtenir des dommages et intérêts au titre d’une rupture brutale de relations commerciales établies lorsque la victime exerce une profession réglementée étrangère au commerce ; en l’absence d’activité commerciale possible, il ne saurait y avoir de rupture brutale de relations commerciales établies. 

La jurisprudence tend ainsi à exclure les professions libérales. 

Les conseils en propriété industrielle mais aussi les médecins, les notaires, les avocats exerçant une activité par nature civile incompatible avec l’exercice d’une activité commerciale, ne peuvent invoquer l’application des dispositions relatives à la rupture brutale des relations commerciales. 

Il a même été jugé qu’il n’existait pas de relation commerciale entre un chirurgien-dentiste et son fournisseur de matériel dentaire (exerçant tous deux sous forme de société commerciale) en raison de la règle déontologique disposant que la profession de chirurgien-dentiste ne devait pas être pratiquée comme un commerce ; dans cette affaire il importe de relever que l’interdiction d’exercer un acte de commerce frappait l’auteur de la rupture et non la victime [3]. 

Concernant la profession d’expert-comptable, la jurisprudence a évolué puisque la profession d’expert-comptable est en principe incompatible avec toute activité commerciale. 

Toutefois, il a été jugé qu’un expert-comptable aurait pu réclamer une indemnisation pour rupture brutale de relations commerciales établies s’il avait prouvé que les prestations de services fournies étaient accessoires à sa mission d’expert-comptable et de nature commerciale [4]. 

Depuis cet arrêt, a été publié l’arrêté du 12 mars 2021 portant agrément de la norme relative aux activités commerciales et aux actes intermédiaires d’experts-comptables fixant les limites et conditions à l’exercice d’activités commerciales et d’actes d’intermédiaire par les experts-comptables : caractère accessoire de ces activités, respect des règles déontologiques et notamment d’indépendance, ... 

Il conviendra d’observer l’évolution de cette jurisprudence au regard de l’article L 442-1, II du code de commerce et de la nouvelle norme pour ce qui concerne la profession d’expert-comptable. 

En conclusion, avant d’engager une action en responsabilité pour rupture de relations commerciales établies, il faut impérativement vérifier le caractère commercial de la relation peu importe la qualité des acteurs de la relation et quelle que soit la nature de l’acte en cause. 

[1] Cass. com., 1er décembre 2021 n° 20-16.693

[2] Cass. com., 3 avril 2013, n° 12-17.905

[3] Cass. com., 31 mars 2021, n°19-16.139

[4] Cass. com.,10 février 2021, n°19-10.306