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Rupture brutale des relations commerciales établies

Il est interdit de rompre brutalement même partiellement une relation commerciale établie qu’il s’agisse de la fourniture d’un produit ou d’une prestation de services. En effet, il doit être accordé à la victime de la rupture un préavis lui permettant de réorganiser son activité.

Bien que l’aléa judiciaire soit important en la matière, quels enseignements est-il possible de tirer de la jurisprudence récente ?

Depuis 1996 il est interdit de rompre brutalement une relation commerciale établie.

Cette interdiction est désormais sanctionnée à l’article L 442-1, II du Code de commerce :

« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.

Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».

La rupture de relations commerciales demeure une source de contentieux important.

L’aléa judiciaire ne permet pas de tirer de la jurisprudence des certitudes mais de dégager quelques enseignements pour limiter les risques d’être condamné à des dommages-intérêts pour avoir rompu brutalement une relation commerciale considérée comme établie.

Les conditions à réunir pour qu’il y ait rupture brutale de relations commerciales établies demeurent :

1) l'existence d'une relation de nature commerciale

2) le caractère établi de cette relation

3) le caractère brutal de la rupture

La jurisprudence tend à confirmer :

- que la réglementation ne s'applique pas là où existe un régime spécificque ou si la relation n'est pas de nature commerciale ;

- que la précarisation de la relation peut permettre d'échapper à la réglementation ;

- que la durée du préavis à respecter tient compte de la durée de la relation comemrciale et d'autres circonstances ;

- que la notification de la rupture concerne également l'appel d'offres ;

- que la responsabilité de l'auteur n'est aps engagée enc as de faute suffisamment grave de la victime ;

- que le contexte de crise économique peut exclure le caractère brutal de la rupture.

Enfin, l’évolution principale serait celle liée au calcul de la durée du préavis qui aurait tendance à diminuer.

1) Sur l'existence d'une relation de nature commerciale

Toutes les relations commerciales sont concernées à l’exception des professions pour lesquelles il existe un texte spécial (ex. agents commerciaux, commissionnaires de transport, …) ou si la relation n’est pas de nature commerciale.

Ainsi la profession de conseil en propriété industrielle a été jugée incompatible avec toute activité de caractère commercial, qu’elle soit exercée directement ou par personne interposée (Cass, com., 1er décembre 2021 n°20-16.693).

2) Sur le caractère établi de la relation commerciale

Il n’existe pas de critère temporel précisé par le texte.

C’est à partir de différents indices issus de la jurisprudence que le caractère établi de la relation commerciale sera apprécié : durée, continuité, stabilité et croyance légitime en la stabilité des relations pour la victime.

La relation commerciale établie suppose toujours un caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d’affaires entre les parties.

L’absence de contrat écrit depuis l’origine n’empêche pas la caractérisation d’une relation établie dans la mesure où il est démontré que la relation dure depuis plus de dix ans, génère un chiffre d’affaires significatif pour les deux parties et présente un caractère stable et régulier (CA Paris 18 juin 2021, n°18/21353 ; CA Paris 28 septembre 2022, n°20/15506).

En participant à un appel d’offres perdu, après avoir déjà participé à une première procédure remportée, une société ne peut se prévaloir d’une relation établie (CA Paris 10 février 2021, n°19/00634).

Le recours systématique à l’appel d’offres peut permettre d’éviter la qualification d’établie à la relation en cause même si le partenaire n’a pas été informé du caractère systématique du recours à la mise en concurrence (Cass, com., 7 décembre 2022, n°21-15.649) ; mais là encore, il s’agit d’une appréciation au cas par cas et la relation peut être jugée établie en dépit des appels d’offres (CA Paris, 18 novembre 2022, n°21/20433).

3) Sur la durée raisonnable du préavis

La durée du préavis à accorder était souvent calculée sur la base d’un mois de préavis par année d’ancienneté.

Il importe de préciser que la durée des relations n’est pas le seul paramètre pris en considération pour évaluer la durée du préavis : « la durée du préavis suffisant s’apprécie au terme d’une analyse concrète de la relation commerciale, tenant compte de sa durée, du volume d’affaires et de la notoriété du client, du secteur concerné, comme du caractère saisonnier du produit, du temps nécessaire pour retrouver un autre partenaire, en respectant, conformément à la loi, la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce et de l’état de dépendance économique du fournisseur, cet état se définissant comme l’impossibilité pour celui-ci de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’il a nouées avec une autre entreprise » (Cass, com., 10 novembre 2021, n°20-13.385).

En tout état de cause, l’appréciation de ces éléments se fait « au moment de la notification de la rupture » (Cass, com., 1erjuin 2022, n°20-18.960).

Ainsi, il a été jugé qu’un préavis de 3 mois était suffisant pour cinq ans de relations (CA Paris 30 mars 2022 n°20/01173).

De même, pour une relation de douze ans, huit mois de préavis ont été retenus en l’absence de spécificité des prestations effectuées, de la faible part de chiffre d’affaires et de la baisse continue des relations depuis plusieurs années (CA Paris 20 janvier 2022 n°18/07528).

Pour les litiges nés après l’ordonnance du 19 avril 2019, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de 18 mois.

Toutefois, au regard de la jurisprudence, même pour ceux nés avant l’ordonnance de 2019, la durée de dix-huit mois a été jugée suffisante dans une affaire concernant une relation de trente-cinq ans pour laquelle un préavis de dix-huit mois a été reconnu comme étant suffisant (CA Paris 10 février 2022 n°19/03034).

4) Sur le formalisme requis pour notifier la rupture

La rupture est brutale lorsqu’elle intervient sans préavis écrit ou avec un préavis jugé insuffisant.

La notification de la rupture est nécessairement écrite : elle n’est valable que si elle est écrite et comporte la date à laquelle la relation prendra fin, y compris en matière d’appel d’offres (Cass, com., 27 mai 2021, n°19-18.301).

Le caractère prévisible de la rupture importe peu : « Le caractère prévisible de la rupture d’une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d’un acte du partenaire manifestant de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant un courir un délai de préavis » (Cass, com., 28 septembre 2022, n°21-16.209).

De plus, en matière d’appel d’offres, un délai suffisant doit être accordé entre la notification du recours à l’appel d’offres et la cessation effective de la relation (Cass, com. 22 septembre 2021, n°20-13615).

5) Sur la dispense de préavis

La loi ne prévoit que deux cas d’exonération de préavis : la force majeure et l’inexécution par le partenaire de ses obligations.

Concernant l’inexécution des obligations par le partenaire, la faute doit être d’une gravité suffisante (Cass, com. 16 février 2022, n°20/18844 ; Cass, com., 6 avril 2022, n°21-10.265).

La gravité du manquement nécessite l’existence de réclamations, mise en demeure préalable à la résolution sans préavis (CA Paris 26 janvier 2022, n°20/08372).

Mais ces réclamations préalables ne suffisent pas à établir la gravité des inexécutions susceptibles de justifier une rupture sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation (Cass, com., 16 février 2022, n°20-18.844).

De plus, il a été jugé insuffisamment grave le manquement qui fut par le passé toléré par le cocontractant (CA Paris 22 juin 2022, n°21/14840).

6) Sur le contexte de crise économique

Enfin, la jurisprudence reconnaît parfois qu’un contexte de crise économique peut dispenser l’octroi du préavis à condition que l’auteur de la rupture soit victime lui-même de ce contexte et que cette rupture ne lui soit donc pas imputable (Cass, com., 1er décembre 2021, n°20-19.113).

Ainsi, lorsque la rupture résulte de l’absence d’adaptation « aux nouvelles exigences du marché », par ailleurs identifié comme « un marché en crise », la responsabilité de son auteur est écartée car « le partenaire commercial n’a pas un droit à une relation inchangée et ne peut refuser toute adaptation commandée par l’évolution économique » (Cass, com. 1erdécembre 2021, n°20-19113).

Mais la crise économique ne peut être invoquée par le partenaire qui a dans le même temps augmenté son chiffre d’affaires (CA Paris, 11 mai 2022, n°20/07499).

En conclusion, lorsqu’il y a volonté de rompre une relation commerciale, il est impératif de l’analyser pour limiter le risque d’être sanctionné au titre de la rupture brutale d’une relation commerciale établie.

Or depuis trois ans, la succession de chocs économiques ne permet pas toujours aux entreprises d’anticiper les décisions pour mettre fin à une relation commerciale.

Il reste que poursuivre le dialogue avec le partenaire pour organiser une fin apaisée de la relation reste toujours la meilleure des solutions.